Pourquoi l’Ademe s’est-elle intéressée à la décarbonation de certains secteurs industriels ?
Adeline Pillet : L’Agence est le bras armé de l’État sur la transition écologique et elle propose des outils d’aides à la décision innovants aux acteurs économiques. En 2019, nous faisions le constat que les feuilles de route de décarbonation des industriels étaient très techno-centrées sans vision globale et, d’un autre côté, que la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ne donnait pas de vision sectorielle pour atteindre l’objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’industrie de 81 % en 2050 par rapport à 2015. Avec l’aide d’un financement européen Life / Finance ClimAct de 18 millions d’euros, nous avons décidé d’élaborer des plans de transition sectoriels (PTS) sur la base d’une analyse croisée de trois aspects : le déploiement des leviers de décarbonation en fonction de scénarios contrastés et en vue d’atteindre l’objectif de la SNBC, les coûts et besoins de financements induits, et l’évolution du marché en termes de demande et de concurrence.
Sur quel périmètre ?
Les PTS concernent neuf secteurs qui représentent, ensemble, environ les deux tiers des émissions de GES de l’industrie française : le ciment, l’aluminium, l’ammoniac, l’acier, le verre, le sucre, le papier-carton, l’éthylène et le chlore. Ce sont des secteurs clés de l’économie française, puisqu’ils alimentent de nombreuses activités comme la construction, le transport, l’énergie, l’emballage, l’alimentation, etc. Pour les autres secteurs industriels qui souhaiteraient s’inspirer de cette démarche, l’Ademe a rendu public un guide méthodologique qui est, depuis peu, complété par une norme européenne.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Nos travaux se sont étendus de 2020 à 2024 en mobilisant une équipe pluridisciplinaire d’une dizaine de personnes à l’Ademe, et en incluant plusieurs temps de concertations et d’échanges avec les industriels, leurs fédérations, des experts et des acteurs de chaque chaîne de valeur. La méthodologie repose sur trois phases. La première est celle du cadrage (périmètre géographique, année de référence, objectifs, etc.) et de l’état des lieux d’une filière. Il s’agit de bien comprendre chaque marché concerné, les outils productifs à décarboner, et les leviers envisageables d’ici 2050. La deuxième phase est celle de la modélisation, par la construction de plusieurs éléments : des usines théoriques de référence, des « univers » de transition décrivant le contexte général (évolution des consommations de la population, approvisionnement en matières premières, économie circulaire, politiques énergétiques etc.), des itinéraires technologiques (choix et vitesse de déploiement des leviers de décarbonation, part de l’innovation) et des itinéraires de marché (évolution de la demande en matériaux, parts de marché des substituts, commerce extérieur). Le tout, mis ensemble, a permis de construire plusieurs trajectoires de décarbonation jusqu’à 2050, et leur chronique d’investissement. À partir des résultats des différents scénarios obtenus, on a réalisé des analyses complémentaires sur l’emploi et les compétences nécessaires, et sur les stratégies industrielles à élaborer.
Et la troisième phase ?
Il s’agit de définir des pistes d’actions tant pour les acteurs publics que privés. En regardant les PTS de manière transverse, on identifie trois niveaux. Les outils productifs ont besoin d’une planification stratégique via des feuilles de route ambitieuses, d’un déploiement massif de technologies déjà matures et de changements de modèles d’affaires. À l’échelle des politiques publiques, la cohérence des politiques fiscales, réglementaire et de soutien est indispensable, tout comme la lisibilité et la stabilité des signaux économiques. Enfin, les financeurs doivent s’approprier les enjeux de décarbonation et réviser leurs critères pour prioriser les investissements dans la décarbonation des industriels.
Quels enseignements technologiques avez-vous tirés des PTS ?
Les différents « univers » des PTS, qui reflètent en partie les scénarios Transition(s) 2050 de l’Ademe, ne sont pas des prédictions de l’avenir. Ils offrent des visions contrastées pour élaborer une analyse des risques. Parmi les facteurs déterminants à prendre en compte, il y a des baisses de production, conséquences de politiques de sobriété et d’économie circulaire dans certains scénarios, ou de délocalisations industrielles plutôt dans des univers de mondialisation exacerbée. Ces baisses peuvent compter pour 8 à 28 % de la décarbonation. L’efficacité énergétique et la récupération de chaleur fatale sont toujours des leviers sans regret – dont la grande majorité des technologies sont déjà matures – mais plafonnés, entre 7 et 11 % de la réduction des émissions de CO2. La réduction des intrants matières ou leur substitution par des matériaux décarbonés est importante dans certaines filières mais pèse globalement pour 8 % des efforts de décarbonation dans tous les univers.
L’enjeu de l’électrification est-il aussi fort qu’on le dit ?
L’électrification est un levier technologique incontournable, surtout dans le verre et l’éthylène. Sa part globale est « seulement » de 7 à 11 % mais elle renforce notre souveraineté, sous couvert que l’accès au réseau soit facilité et que le prix de l’électricité soit compétitif. Dans le secteur de l’acier, le passage des hauts fourneaux à des fours à arcs électriques offre une grande opportunité de décarbonation. Il y a aussi une part d’électrification indirecte par l’usage d’hydrogène, qui pèse peu globalement dans la décarbonation (0,4 à 5 %) mais qui est essentiel pour les secteurs de l’acier et de l’ammoniac. Enfin, on notera que la biomasse a sa place, et que le CCS (capture/stockage de carbone) n’est qu’un levier de dernier recours, voire qu’il n’est pas nécessaire pour plusieurs filières (sucre, papier-carton, chlore et verre). Vous aurez l’occasion de détailler cela dans vos prochains articles sur les neuf secteurs industriels !
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